Sylvie Laigneau-Fontaine, Ovide, Les Amours, l'Art d'aimer (Paris, Ellipses, 1999)
INTRODUCTION
Pour un enseignant, se voir attribuer un cours sur Ovide (qu'il soit au programme d'une année universitaire ou au programme d'agrégation) est toujours un pur bonheur : nul auteur, peut-être, ne "marche" mieux avec les étudiants, quels qu'ils soient. Les latinistes débutants découvrent (pour certains d'entre eux avec quelque étonnement...), après des mois de dominus ancillae rosam dat, que le latin, ce sont aussi des textes, et que ces textes, pour être parfois un peu ardus, peuvent être très amusants ; les "premières années" classiques s'initient avec plaisir aux jeux subtils du poète-amoureux, amoureux du langage autant que d'une puella, qui mêle art d'aimer et art d'écrire en un entrelac raffiné ; les agrégatifs mettent à profit leurs connaissances plus complètes pour se livrer aux joies de l'intertextualité, goûter les remplois ingénieux de telle ou telle figure, et apprécier les provocations de l'enfant terrible du régime augustéen. Tous, nous voulons le croire, se laissent prendre au charme d'un poète dont la grâce juvénile "parle" encore aux lecteurs du XXème siècle finissant, et du XXIème siècle commençant...
En effet, Ovide trouve en chacun de nous une résonance propre, et nous fait entrer dans un univers où la latinité, pour cultivée et référentielle qu'elle soit (et nous parlerons longuement, au cours de cet ouvrage, des parallèles intentionnels tracés par l'auteur entre telle et telle de ses pièces et telle œuvre antérieure), a un écho universel : les jeux de l'amour dont l'Art d'aimer apprend les règles, et dont les Amours explorent systématiquement toutes les facettes, sont éternels. Ces deux ouvrages, quoiqu'offrant au latiniste, nous le verrons, d'utiles connaissances sur la société augustéenne, auraient pu tout aussi bien constituer la trame d'un film de Lubitsch ou de Billy Wilder dans les années 50, et pourraient également fournir le scénario d'une de ces comédies sentimentales que le public aime tant...
Dans la quatrième de couverture de son édition de poche des Amours, Jean-Pierre Néraudau comparait implicitement Ovide à Mozart et à Fragonnard, à La Fontaine, Marivaux et Choderlos de Laclos. De fait, il est probable qu'une des raisons qui nous rendent Ovide si familier est l'extraordinaire postérité littéraire que connut son œuvre. En envisageant les Amours et l'Art d'aimer comme des "textes fondateurs", nous rencontrerons sur notre chemin, bien sûr, les poètes de l'amour courtois et du pétrarquisme, les précieuses du XVIIème siècle avec leur "Carte du Tendre", mais aussi La Rochefoucauld et son moralisme pessimiste, mais aussi Valmont et son immoralisme combatif. C'est à ces rencontres que nous convions le lecteur, après une analyse de quelques aspects de l'œuvre ovidienne, et avant une étude de quelques morceaux choisis.