brève analyse de Art d'aimer, II, 233-250
Art d'aimer, II,233-250 : la militia amoris
Militiae species amor est. Discedite, segnes. 233
Non sunt haec timidis signa tuenda uiris.
Nox et hiems longaeque uiae saeuique dolores 235
Mollibus his castris et labor omnis inest ;
Saepe feres imbrem caelesti nube solutum
Frigidus et nuda saepe iacebis humo.
Cynthius Admeti uaccas pauisse Pheraei
Fertur et in parua delituisse casa : 240
Quod Phoebum decuit, quem non decet ? Exue fastus,
Curam mansuri quisquis amoris habes.
Si tibi per tutum planumque negabitur ire,
Atque erit opposita ianua fulta sera,
At tu per praeceps tecto delabere aperto ; 245
Det quoque furtiuas alta fenestras uias.
Laeta erit et causam tibi se sciet esse pericli ;
Hoc dominae certi pignus amoris erit.
Saepe tua poteras, Leandre, carere puella ;
Transnabas, animum nosset ut illa tuum. 250
"L'amour est une espèce de service militaire. Loin d'ici, paresseux. De telles enseignes ne sont pas faites pour être défendues par des lâches ; nuit, tempête, longues routes, souffrances cruelles, bref toutes les épreuves, voilà ce qu'on trouve dans ce camp du plaisir ; bien souvent, tu supporteras la pluie d'orage qui tombe à flots du ciel et bien souvent, glacé, tu dormiras à même le sol. Le dieu du Cynthe a mené paître, dit-on, les vaches d'Admète, le roi de Phères, et a couché dans une minuscule cabane : ce que Phébus a accepté de faire, qui le refuserait ? Qui que tu sois, dépouille tout orgueil, si tu te préoccupes d'être aimé durablement. S'il t'est impossible de trouver une voie toute droite et aisée, et si on met au travers de ta route une porte bien barricadée, eh bien ! tu sauteras en bas du toit à ciel ouvert ; qu'une fenêtre élevée te fournisse aussi une retraite discrète. Alors elle sera heureuse, et saura que c'est pour elle que tu cours ces dangers, ce qui sera pour ta maîtresse un gage irréfutable d'amour. Tu aurais pu bien souvent, Léandre, te passer de voir ton amie ; mais tu traversais l'Hellespont à la nage, pour qu'elle connaisse bien tes sentiments".
-Topos habituel de l'élégie : les épreuves que doit endurer l'amant pour sa belle. Ici plaisamment comparées aux peines du soldat. Importance de la fin provocatrice du vers 241 : exue fastus. Mise en place d'une nouvelle morale, à l'opposé de celle du Romain dominateur.
-Evocation mi-satirique, mi-burlesque des aléas de la vie de l'amant d'une femme mariée. C'est en effet en ce sens qu'il faut comprendre aux vers 244-246 la mention de la fenêtre et du toit, par lesquels il passe pour rendre visite à sa maîtresse sans que le mari ne s'en aperçoive... et pour s'enfuir avant d'être découvert. Horace (Satires, I,2) a traité du même thème, en insistant sur les dangers courus par l'homme adultère : "Un tel s'est précipité du haut d'un toit, un tel a été battu de verges jusqu'à la mort ; tel autre, dans sa fuite, est tombé au milieu d'une bande de farouches voleurs ; tel autre encore, pour avoir la vie sauve, a dû payer ; des valets d'écurie ont uriné sur celui-ci ; pire encore, il est arrivé que l'on coupe à l'épée les testicules et le membre lubrique de l'adultère. “C'est bien fait”, dit tout le monde". (v.41-46)
-Usage habituel de l'exemplum mythologique. L'histoire d'Apollon et d'Admète est bien connue : le fils d'Apollon, Asclépios, était un médecin si habile qu'il parvenait à ressusciter les morts ; Zeus, furieux, le foudroya. Apollon en fut si peiné qu'il se vengea en tuant de ses flèches les Cyclopes. Le roi des dieux, pour le punir, l'obligea à se mettre durant un an au service d'un mortel. Apollon se rendit donc chez Admète, le roi de Phères, en Thessalie (région de Grèce), en qualité de bouvier.
Léandre est un jeune homme amoureux d'Héro, une jeune fille qui habite sur la rive opposée de l'Hellespont. Chaque nuit, il va à la nage la rejoindre, guidé par une lampe qu'elle allume au sommet de sa maison. Mais une nuit, le vent éteint la lumière ; Léandre ne parvient à trouver la côte, et meurt d'épuisement. Héro ne peut lui survivre, et se suicide. Ovide consacre à ces amants ses Héroïdes doubles XVIII et XIX ; Virgile en parle dans les Géorgiques, III,258.